LES RÉTROCESSIONS sont actuellement au cœur d’un débat qui agite fortement les titulaires, les syndicats, les groupements, les grossistes-répartiteurs, les laboratoires, l’Ordre et les experts-comptables… En cause, cette pratique ancienne qui consiste, pour certains pharmaciens, à se regrouper de façon informelle pour acheter directement et en grande quantité des médicaments conseil et de la parapharmacie, le pharmacien « pivot » de ce système rétrocédant ensuite les produits à des confrères, moyennant une facture de rétrocession, sans marge commerciale.
Le nombre de ces achats groupés et informels, et donc sans structure juridique autorisée, a manifestement explosé au cours des derniers mois. La raison principale : la crise et les difficultés économiques, beaucoup de pharmaciens essayant par tous les moyens de donner un peu d’air aux comptes de leur officine.
Pour les titulaires qui n’appartiennent pas à un groupement, la rétrocession à des confrères est un moyen d’acheter moins cher, et, donc, de préserver la marge commerciale ou de vendre à des conditions satisfaisantes pour les clients. « Les conditions d’achat ne sont pas satisfaisantes aujourd’hui, et elles sont aggravées par la hausse à 7 % de la TVA sur le médicament conseil, explique Gilles Bonnefond, président délégué de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Les pharmaciens sont pris aujourd’hui entre deux feux : ils sont obligés d’acheter en grande quantité et de stocker longtemps pour obtenir de bonnes conditions commerciales, mais beaucoup ne peuvent pas le faire parce que leur trésorerie est tendue, et ils ne bénéficient pas alors de conditions intéressantes. »
Une pratique très réglementée.
Les rétrocessions d’achats à des confrères sont donc l’une des réponses à la crise que certains pharmaciens ont trouvée. Or, si le fait de dépanner un confrère pour un produit en rupture d’approvisionnement auprès du grossiste-répartiteur ou du laboratoire n’est pas répréhensible, l’article L 5 125-1 du Code de la santé publique interdit la pratique d’achats groupés donnant lieu à des factures de rétrocession, puisque le pharmacien a un rôle de vente au détail et de dispensation, et non pas de vente en gros. « Lorsqu’il s’agit d’une commande établie dans le but d’effectuer une rétrocession ultérieure, c’est-à-dire lorsque la commande dépasse les besoins naturels de l’officine, nous ne sommes plus dans le cadre d’une activité de détail autorisée », confirme Jean-Charles Tellier, président du conseil central de la section A de l’Ordre des pharmaciens.
Jusqu’à récemment, et tant qu’elle restait marginale, cette pratique était plus ou moins tolérée, aussi bien par les pouvoirs publics que par l’Ordre. D’ailleurs, malgré les « dérives » constatées ces derniers mois, les achats groupés avec rétrocession n’ont, à ce jour, donné lieu à aucune sanction ordinale, si ce n’est des mises en demeure. Mais aujourd’hui, avec le développement de ces pratiques non autorisées par le Code, la tolérance, pour la Direction de la Santé, n’est plus de mise.
Dans un courrier adressé à tous les syndicats ainsi que lors d’une réunion qui s’est tenue en décembre dernier, la Direction de la Santé a ainsi adopté une position très ferme. Elle rappelle que, en dehors de l’éventualité de poursuites disciplinaires, le fait pour un pharmacien de commander et réceptionner des produits du monopole ou hors monopole pour les rétrocéder ensuite à d’autres pharmaciens peut donner lieu à des sanctions pénales, qui vont en théorie jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende… Ces sanctions sont identiques pour les rétrocessions de médicaments remboursables comme pour celles de médicaments non remboursables.
En outre, la Direction de la Santé a rappelé que le fait pour un officinal d’avoir, en plus de la fonction de pharmacien au détail, une fonction de grossiste-répartiteur est, lui aussi, sanctionné par des dispositions spécifiques… Bref, pour la Direction de la Santé, les rétrocessions, hors dépannage exceptionnel d’un confrère, ne sont pas légales, et les textes lui donnent aujourd’hui raison.
Il faut dire que les rétrocessions posent aussi de nombreux autres problèmes. Et en particulier des problèmes comptables et financiers, comme l’explique Philippe Becker, directeur du département pharmacie de Fiducial : « Les rétrocessions étant effectuées avec une marge nulle, elles donnent une fausse image de la marge réelle de l’officine. En effet, l’officine a, dans ce cas, des ventes normales avec un taux de marge normal, et des ventes – en fait des rétrocessions – avec un taux de marge nul. Par ailleurs, des rétrocessions importantes pourraient faire franchir artificiellement certains seuils, comme celui des adjoints, par exemple. »
Les rétrocessions à des confrères posent enfin des problèmes de traçabilité des produits, puisque les procédures normales de distribution ne sont pas respectées. Et, quelquefois aussi, un problème d’acheminement, lorsque le pharmacien s’arrange avec le grossiste-répartiteur pour livrer les confrères ou lorsqu’il livre lui-même avec son véhicule personnel. Dans les deux cas, et sauf lorsque le grossiste est autorisé à agir comme transporteur, les procédures normales de distribution ne sont pas respectées…
Les SRA insuffisantes.
En lieu et place des achats groupés avec rétrocessions, et pour limiter leur pratique, le ministère de la Santé préconise l’utilisation des SRA, les structures de regroupement à l’achat, instaurées par un décret du 19 juin 2009 et aujourd’hui prévues par le Code de la santé publique. La SRA permet en effet à des titulaires ou à des sociétés exploitant une officine de créer une structure de ce type sous forme d’une société, d’un groupement d’intérêt économique ou d’une association.
En pratique, la SRA passe commande pour le compte de ses membres qui sont livrés directement, la facturation se faisant à la SRA, qui refacture ensuite aux donneurs d’ordre. La SRA n’est donc pas un établissement pharmaceutique et ne peut stocker elle-même les produits et les livrer, sauf à s’adosser à une centrale d’achat ou à un grossiste-répartiteur.
Mais il y a un problème : la SRA n’est, d’abord, habilitée qu’à commander des médicaments conseil à 7 %, des compléments alimentaires, des produits de parapharmacie à 19,6 % et des dispositifs médicaux. Surtout, les SRA qui ont essayé de se constituer n’ont pas trouvé d’accord avec les laboratoires, et les pharmaciens concernés n’ont pas été livrés. « Les structures de regroupement à l’achat ne répondent pas aux besoins de nos confrères. Ce système est difficile à mettre en place et l’ensemble des acteurs n’est pas forcément disposé à lui permettre de fonctionner », explique-t-on à l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF). « Les pharmaciens en SRA se sont vus opposer un refus de livraison par les laboratoires », renchérit pour sa part Gilles Bonnefond.
Autre structure possible encore, la coopérative ou centrale d’achat pharmaceutique (CAP). Beaucoup plus lourde que la SRA, elle peut quant à elle stocker elle-même les produits hors monopole et les livrer aux pharmaciens, mais à la condition d’avoir le statut d’établissement pharmaceutique autorisé pour l’activité de distribution en gros. En pratique, sont donc concernés uniquement les grossistes-répartiteurs ou les groupements. Les CAP, comme les SRA, sont juridiquement opérationnelles, mais très peu ont été créées jusqu’à maintenant. Elles n’apportent donc pas de réponse aux problèmes des conditions commerciales sur les achats.
Légaliser les rétrocessions.
C’est pourquoi, et alors que le ministère de la Santé « pousse », mais en vain, au développement des SRA et des CAP, les syndicats de pharmaciens demandent pour leur part la légalisation des achats groupés avec rétrocession, afin que les confrères puissent bénéficier de meilleures conditions commerciales. « Nous avons demandé au ministère une modification du décret qui permet les achats groupés par les officines, de manière à légaliser les pratiques de terrain, indique Philippe Besset, président de la commission économie de l’officine à la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Nous demandons cette légalisation pour les produits concernés par le décret de 2009, c’est-à-dire le non-remboursable, la dermocosmétique, les compléments alimentaires et les dispositifs médicaux. »
Tous les syndicats ne sont cependant pas d’accord sur les modalités que pourrait prendre cette légalisation. Philippe Besset pense qu’il faut « une limite et un contrôle ». Gilles Bonnefond, de l’USPO, estime quant à lui que l’on devrait aller jusqu’à 5 % d’achats groupés par rapport au total des achats de l’officine, et toujours pour le médicament conseil et la parapharmacie. Seule, pour l’instant, l’UNPF veut aller plus loin et demande que « les rétrocessions soient maintenues non seulement pour les produits de parapharmacie et les médicaments non remboursables, mais qu’elles soient envisagées également pour les médicaments remboursables ».
Mais il n’est pas du tout sûr, au vu des textes du Code de la santé publique et de la position des laboratoires pharmaceutiques et des groupements, que cette demande puisse être un jour acceptée.
Dans tous les cas, les syndicats et même le ministère de la Santé sont d’accord pour que les pharmaciens, surtout dans cette période de crise, puissent obtenir plus de facilités et de fluidité pour leurs achats, que ce soit par le biais de rétrocessions devenues légales ou d’une réforme des SRA.
Il ne s’agit d’ailleurs pas de faire concurrence aux groupements. Mais, comme le remarque Gilles Bonnefond, « certains groupements ne travaillent pas avec certains laboratoires, ou inversement, et les pharmaciens peuvent avoir besoin d’acheter, groupés, tels ou tels médicaments ». Il ne s’agit pas non plus, pour les syndicats, de léser les grossistes-répartiteurs.
La question devra sans doute être réglée rapidement et les possibilités d’achat groupé certainement élargies d’une manière ou d’une autre. Il y va parfois de la survie des petites officines isolées, et notamment des petites officines rurales, qui attendent, selon les syndicats, un « geste » significatif des pouvoirs publics.
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