Entre art et officine

Paul Duchein, pharmacien surréaliste

Publié le 09/02/2012
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Rêveur égaré dans le monde de la pharmacie, ami des créateurs, Paul Duchein a partagé sa vie entre les arts et l’officine, tout en bâtissant une œuvre très personnelle, en forme de… mise en boîte.
Paul Duchein : " Après tout, la pharmacie, c’est aussi vendre de petites boîtes… »

Paul Duchein : " Après tout, la pharmacie, c’est aussi vendre de petites boîtes… »
Crédit photo : pj

« JE SUIS un vieux peau-rouge qui ne marchera jamais en file indienne. » Paul Duchein a fait sienne cette maxime d’un poète surréaliste. En effet, cet ancien pharmacien montalbanais de 82 ans, n’a jamais cessé d’avoir un positionnement atypique et des personnalités multiples : syndicaliste parlant de culture, pharmacien provincial plus souvent à Paris que dans son officine, ami et promoteur d’artistes, et, pour finir, artiste lui-même. Paul Duchein n’a pourtant rien d’un dilettante. Bien au contraire, il s’est appliqué toute sa vie à « faire les choses sérieusement, sans jamais se prendre au sérieux ». Né six mois après la mort de son père, il vit une enfance simple et solitaire, collectionne minéraux, écorces, fossiles… réalise, dans des boîtes, des maquettes des pièces de la maison familiale… Puis, il découvre la peinture, expose à 14 ans : « Je lisais les lettres de Van Gogh à son frère, je me rêvais artiste ». Il rencontre alors un peintre céramiste italien qui guide son apprentissage, ses lectures et sa culture artistique.

Bac en poche, Paul Duchein choisit la fac de pharmacie « par commodité familiale et sécurité bourgeoise. À l’époque, les Beaux-Arts sentaient encore les putes et l’absinthe », avoue-t-il. Ses 30 mois de service militaire l’emmènent à Paris, où il arpente le Louvre, puis en Algérie, d’où il correspond avec des artistes (Braque, Lurçat). À son retour, il reprend la pharmacie de ses tantes, à Montauban. Il y déploie sa créativité, réalisant des « étalages de plantes médicinales et de drôleries ». Il organise les Rencontres d’art au musée Ingres de Montauban, où il fait présenter Picasso, Poliakoff, Zadkine… Il s’attachera toute sa vie à aider les artistes en leur trouvant lieux d’exposition, acheteurs…

Syndicaliste hors norme.

Il s’engage également auprès des pharmaciens. Président du syndicat du Tarn-et-Garonne, il signe des conventions avec les mutuelles, se bat contre les transferts en centre commerciaux, met en place système de garde efficace… Président de la Fédération régionale Midi-Pyrénées en 1973 (pendant 18 ans), il occupe aussi des fonctions nationales : responsable des relations publiques de la FSPF, il crée (avec Jacques Séguéla) un prix de la publicité pharmaceutique et un prix audiovisuel. Directeur de la rédaction du « Pharmacien de France », il multiplie éditoriaux impertinents, photomontages surréalistes et chroniques sur les arts : « Si les pharmaciens avaient acheté les artistes que je leur ai présentés, ils auraient fait de bonnes affaires. » Ce qui ne l’empêche de critiquer « l’amoralité du marché de l’art contemporain ». Fréquemment à Paris, il hante galeries, musées, salles de vente… nourrit sa passion pour l’art brut, l’art africain et les arts populaires auxquels il consacrera plusieurs ouvrages : « Tous des bides », souligne-t-il avec humour. Il fréquente les artistes, vit cette « fraternité de l’art qui est un monde étranger à celui de la pharmacie ». Pour le centenaire de la FSPF, il tente pourtant de mixer les deux mondes, en confiant à des artistes contemporains (Georges Mathieu, Léonor Fini…) la décoration d’une série de pots de pharmacie.

Paul Duchein mène ainsi une vie bipolaire, entre Paris et province, pharmacie et arts, rêve et réalité. Une réalité incarnée par Jacqueline, son épouse depuis 56 ans. « Elle m’a fait vivre, souligne-t-il. Elle dirigeait un laboratoire d’analyses biologiques. »

Artiste reconnu.

Parallèlement, Paul Duchein, mène une carrière de créateur. Son concept : des boîtes en trois dimensions présentant, comme de petits théâtres, des œuvres faites de collages, de juxtaposition de matières, de couleurs, d’objets divers et de titres surréalistes. Artiste aujourd’hui pleinement reconnu, son œuvre (1 500 boîtes) s’expose à Paris, Toulouse ou Montauban, qui lui a consacré, l’an dernier, une rétrospective : « Aucun pharmacien n’est venu au vernissage, remarque-t-il. Je ne suis sans doute pas fréquentable… » Et si on lui demande ce que représente pour lui la pharmacie d’aujourd’hui, il répond : « Ce sont des croix vertes qui donnent la température du jour. » Puis, moins provocateur, « C’est un négoce difficile, un métier qui n’est pas drôle, et j’ai de l’admiration pour ceux qui le pratiquent… mais avoir fréquenté artistes et surréalistes donne une autre dimension de la vie. »

Légende Photo :

Paul Duchein : « Après tout, la pharmacie, c’est aussi vendre de petites boîtes… »

PATRICE JAYAT

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 2896