LA VIE PRESSÉE d’Olga Romanova se résume en quelques dates : un baccalauréat à 17 ans, « avec médaille d’or et 20/20 », médecin ophtalmologiste à 24 ans, dans sa ville natale d’Ijevsk, entre Moscou et l’Oural (Russie). Émigrée peu après, elle devient baby-sitter à Paris, s’inscrit à la faculté d’Amiens (Somme), soutient sa thèse de pharmacie à 32 ans, et s’installe comme titulaire de son officine à Boves, dans la Somme. Elle a aussi un compagnon, également pharmacien en Picardie, et deux fillettes de 5 ans et 2 ans.
« Ijevsk est la ville de M. Kalachnikov » (l’inventeur du fusil d’assaut automatique, NDLR), sourit-elle, peut-être pour expliquer sa vie en rafale. Elle a quitté sa Russie parce que, là-bas, « c’était un peu le b… ». Ses études ne lui permettaient que de travailler en hôpital, pour l’équivalent de 200 euros par mois ; des amis médecins mènent une double activité pour nouer les deux bouts.
Son inscription à la faculté d’Amiens suit d’abord un refus à l’école d’infirmière. Inscrite avec un visa d’étudiante, elle devient ensuite irrégulière. Elle fait valider son bac russe, « mais pour s’inscrire, il faut avoir des papiers, et pour avoir des papiers, il faut être inscrite ! » Qu’importe, la jeune femme poursuit. Elle apprendra qu’après deux ans en faculté, elle peut demander la nationalité française. Qu’elle obtient.
C’est une vraie accrocheuse. « J’avais de bonnes bases, j’avais appris le français en Russie. » Mais pas l’anglais, indispensable pour apprendre la pharmacie (!), non plus des pans entiers des programmes de mathématiques, et son français restait un peu scolaire pour des études supérieures. Sans parler du latin pour la botanique. Le russe est une langue slave. Elle suit des cours d’anglais et de mathématiques, en plus de la faculté, où elle enregistre chaque jour ses cours, les recopie le soir, mot à mot, « jusqu’à en pleurer dans la cuisine », se souvient Frédéric Michel, son compagnon.
Rage de vivre.
Olga Romanova rate sa première année, mais persévère. En décembre 2011, six mois avant sa thèse, son compagnon achète une officine pour elle, avec une clause restrictive en cas d’insuccès, mais 100 000 euros de dédit. Elle passe sa thèse en mai 2012, et s’installe en octobre.
« J’ai réussi par mon travail, et parce que j’ai une excellente mémoire », précise-t-elle. Mais il y a beaucoup de couleuvres à avaler. Des clients, et même des proches de son compagnon, croient, a priori, qu’elle a un faux diplôme. Il faut dire que, en plus, c’est une grande et belle jeune femme !
À l’officine, de grands travaux ont accompagné son installation, en particulier pour tripler la surface de vente, et rajeunir l’ensemble. « Les débuts n’ont pas été faciles, les gens changent peu d’habitude, et il y a beaucoup de mauvaises langues, beaucoup de négatif. » Elle-même se sent encore sur la réserve. Dans son petit bourg de Boves, elle a perdu (provisoirement ?) la clientèle des personnes âgées, mais le rajeunissement de l’officine a attiré de jeunes mamans, avec poussettes, de cette ville-dortoir d’Amiens.
Elle a laissé à Ijevsk son père, professeur de sport, et sa mère, qui travaille dans les assurances. « Pas la bourgeoisie, mais des parents qui vivent bien, qui ont pu me payer mes études, même si le potager et leurs conserves leur sont indispensables pour survivre. » Cet éloignement lui pèse et elle y retourne une ou deux fois par an : « Je ne sais pas si je regrette. Je regrette ma famille, bien sûr, et le pays où je suis née. » On retrouve dans ses yeux et sa voix douce toute la nostalgie slave, largement démentie, par ailleurs, par sa rage de vivre.
Légende photo : Olga Romanova, de la Russie à la Picardie.
Insolite
Épiler ou pas ?
La Pharmacie du Marché
Un comportement suspect
La Pharmacie du Marché
Le temps de la solidarité
Insolite
Rouge à lèvres d'occasion