IL Y A PLUSIEURS sortes d’enfers. Ce peut être l’omniprésence du regard de l’autre du « huis clos » sartrien. Dans la mythologie grecque, les âmes damnées subissent mille supplices dans l’Hadès. Mais plus terrible encore est la plaine des asphodèles, banlieue lugubre où elles vont errer sans fin. Pour Cédric Lagandré, une métaphore de ce monde que nous habitons aujourd’hui.
Avant tout, dit l’auteur, la disparition de Dieu annoncée par Nietzsche a fait tomber un verrou et libéré la contingence et l’absurdité de toutes choses. Cette destitution de la transcendance aurait dû créer un immense malaise. Que croyez-vous qu’il arriva ? L’homme en a profité pour développer de façon folle une mondialisation totale, c’est-à-dire une reconstruction du monde à l’usage exclusif des humains. L’auteur parle plutôt d’une mondialité, non pas au sens où le monde serait plus vaste, plus ouvert, mais plutôt au sens où, au contraire, tout est immédiatement rabattu sur nos besoins, ajusté à nous comme un vêtement terriblement serré, nous rendant l’existence irrespirable.
Il résulte de tout ceci une disparition du symbolique, c’est-à-dire de tout ce qui faisait le monde d’autrefois, peuplé de mythes, de rites, de légendes à déchiffrer. C’était aussi un monde, pas si vieux que cela, où tout avait à se propager, à être progressivement découvert. « Dans le monde contemporain de la mondialité, dit Cédric Lagandré, rien ne se propage plus : tout est immédiatement déjà propagé, déjà universel, déjà connu de tous. » C’est pourquoi, ajoute-t-il, un récit ne se donne jamais comme texte « à déchiffrer » mais comme « reportage, bloc de réel à l’état pur ». Vous l’avez compris, l’enfer, c’est la privation de l’herméneutique.
Le rien.
Cela ne va pas sans une modification de notre rapport à la temporalité. Le passé mythologique n’est plus, mais le présent a cessé d’être gros de l’avenir, il n’a plus à se déplier en surprises. Tout est éternellement figé, un peu comme dans la monade leibnizienne dans laquelle César a déjà, dès sa naissance, franchi le Rubicon.
Ayant perdu le sens du sens, donc de la contingence, de l’absurdité et des vertiges de la pensée, notre unique malheur est celui de rats de laboratoire, nous sommes stressés !
Arrivé à ce point, le lecteur qui trouve que ces propos contiennent une dose de noirceur excessive n’est pas au bout de son accablement, car l’auteur conclut : « Quand il n’arrive rien, quand les choses sont disposées autour de l’homme de manière à ce qu’il ne puisse plus rien arriver, la seule chose qui puisse arriver est le rien lui-même. »
C’est cet état de non-retour que l’auteur nomme « la catastrophe ». Bien sûr, on dira, cédant à l’impression facile : « C’est trop ! » Qu’on se demande plutôt si Cédric Lagandré n’a pas écrit « la Nausée » de l’époque post-moderne.
Insolite
Épiler ou pas ?
La Pharmacie du Marché
Un comportement suspect
La Pharmacie du Marché
Le temps de la solidarité
Insolite
Rouge à lèvres d'occasion