Des nanorobots magnétiques agissant en essaims capables de déstructurer les biofilms bactériens et améliorer la pénétration des antibiotiques. Ce n’est pas de la science-fiction, c’est le résultat des travaux de Jelena Kolosnjaj-Tabi, pharmacienne de formation et spécialisée dans la recherche sur les biomolécules. Avec son équipe de l'Institut de pharmacologie et de biologie structurale (IPBS) de Toulouse, elle a signé un article paru en janvier dans la revue Advanced Healthcare Materials. Des résultats bienvenus, tant les chiffres de l’antibiorésistance sont inquiétants. En France, le nombre de morts imputables à une infection bactérienne résistante aux antibiotiques a dépassé le nombre de morts sur la route. En 2015, les bactéries antibiorésistantes ont emporté 5 500 personnes tandis que les accidents routiers n'ont ôté « que » 3 500 vies. Parmi les moyens de défense des bactéries, on retrouve les biofilms. Ces derniers sont composés de polysaccharides, de protéines, de lipides ou encore d’ADN et agissent comme des barrières physiques et chimiques. Ils offrent une solide protection aux bactéries contre les traitements et les cellules immunitaires. Toutefois, ils ne sont pas tout-puissants. Il existe des bactéries capables de pénétrer et d’envahir cette matrice extracellulaire protectrice. Propulsées par leur flagelle, ces bactéries perforent mécaniquement la protection bactérienne. C’est en s’inspirant de cette aptitude que l’équipe a mis au point sa technologie.
Associées à un antibiotique, les nanochaînes éliminent jusqu’à 99,99 % des bactéries antibiorésistantes
Les structures développées par l’équipe de l’IPBS sont constituées de multiples nanoparticules de maghémite, aussi connues sous le nom d'oxyde de fer de formule Fe2O3, dont les propriétés physico-chimiques uniques autorisent un contrôle précis, sous l’effet de champs magnétiques. Il est ainsi possible de les manipuler à distance, d’ajuster la taille des structures en jouant sur l’intensité du champ magnétique ou encore de créer localement des structures tournantes qui se redispersent en l’absence du champ. Ainsi manipulées, les nanostructures peuvent être assemblées en essaims dynamiques de « microfagots » ou « micronattes » ayant la capacité de pénétrer les biofilms. Les résultats sont au rendez-vous. Associées à un antibiotique, y compris à faibles doses, comme la méticilline, les nanochaînes éliminent jusqu’à 99,99 % des bactéries antibiorésistantes. Le procédé fonctionne notamment sur les bactéries Staphylococcus epidermidis, dont 75 à 90 % des souches prélevées en milieu hospitalier, dans de nombreux pays, y compris les États-Unis, sont résistantes à la méticilline, selon une étude publiée en 2009 dans la revue Nature Reviews Microbiology.
Des applications à développer
Malgré la situation grave, développer un nouvel antibiotique reste très ardu. Puisqu’il en existe déjà un large panel traitant la majorité des infections, les nouvelles molécules sont utilisées en dernier recours, contre les infections multirésistantes. Leur fréquence d’utilisation est ainsi réduite et, par effet ricochet, leur rentabilité aussi. « C’est tout l’intérêt de notre approche, explique Jelena Kolosnjaj-Tabi, nos nanostructures rétablissent la sensibilité des bactéries antibiorésistantes aux molécules déjà sur le marché. » Si le traitement des infections est envisagé, c’est principalement le nettoyage de matériel qui est imaginé comme application. La technologie est dès aujourd’hui fonctionnelle, mais « nous ne l’avons testée qu’en laboratoire, reconnaît la pharmacienne. Nous allons poursuivre nos travaux avec des cas en vie réelle, sur des biofilms hétérogènes, différents types de bactéries… Nous souhaiterions aussi lancer des recherches cliniques. » Interrogée à propos d’un risque cytotoxique de ces structures d’échelle nanométriques, la scientifique se veut rassurante. « Les oxydes de fer font partie des rares nanoparticules déjà mises sur le marché et ce, depuis la fin des années 1990. Ils sont utilisés comme agents de contraste pour les IRM et intègrent sans problème le mécanisme endogène du fer. Il n’y a donc pas du tout le même risque qu’avec les métaux lourds, par exemple. Et en plus, puisqu’ils sont très magnétiques, ils pourraient facilement être retirés une fois la procédure terminée. »
Derrière le comptoir
En attendant l’arrivée de ces nouvelles thérapies, les meilleurs moyens pour les officinaux de lutter contre l’antibiorésistance reste encore le recours aux TRODs et à l’éducation des patients. En effet, en 2024, 80 % des officines ont réalisé des TRODs et seulement 23 % de ces derniers ont donné lieu à une dispensation. De quoi réduire la consommation d’antibiotiques. Rappelons-le, la France est mauvaise élève quand il est question de cette problématique. Le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), place la France en 5e position des pays les plus consommateurs d’antibiotiques. Quant au nombre de consommateurs, Santé publique France (SPF) a estimé que 39,4 % des patients, soit 26,8 millions, avaient reçu au moins une prescription d’antibiotiques en 2023.