Certes, Éric Zemmour a permis à la France de se doter de deux extrêmes droites, ce qui constitue un record européen. Quand on dit qu'il existe de façon indéniable une vaste majorité de droite dans notre pays, il faut s'empresser d'ajouter que Mme Le Pen et M. Zemmour peuvent compter à eux deux un bon tiers de l'électorat. Toutes tendances confondues, la gauche, l'an prochain, ne réunira pas plus de 30 % des voix, ce qui permet à Emmanuel Macron de caracoler en tête des deux tours. Vue sous un autre angle, la situation profite au président sortant parce que la droite et la gauche sont divisées au delà de tout sursaut salutaire et que la première victime de l'éventuelle candidature de M. Zemmour, c'est Marine Le Pen.
Le président de la République tire son assurance des décombres fumants des partis d'opposition. Il ne se laisse guère impressionner par l'entrée officielle en lice d'Anne Hidalgo qui n'a ni les voix, ni la capacité de rassembler, ni le prestige, ni le charisme qui la conduiraient tout naturellement au second tour. Il laisse ses rivaux se perdre dans leur désespoir et essayer de forcer le destin en inventant des propositions absurdes, comme celle d'Éric Ciotti qui, s'il est élu président, ce qu'à Dieu ne plaise, abolira les droits de succession. Dans un pays où tous les possédants, de 10 000 euros à un milliard et plus, souhaitent léguer leur bas de laine à leurs enfants, son idée, fort démagogique, va faire fureur. Comment elle va chambouler l'ordre de la campagne et améliorer le sort de nos concitoyens, c'est une tout autre affaire.
Un choix entre des surenchères
L'outrance idéologique, sémantique et philosophique a remplacé la ligne politique. On n'a plus le choix entre des programmes mais entre des surenchères. Mais, dans ce brouhaha alimenté par les sondages, les discours audacieux, les réseaux sociaux, des vérités émergent. Par exemple : ce qui différencie la droite de la gauche a été effacé par le macronisme, qui est de faire les deux à la fois. La preuve : il n'y a aucun rapport entre Michel Barnier, Xavier Bertrand et Éric Ciotti, donc le parti LR est fait de bric et de broc. La France insoumise a plus à voir avec l'extrême droite qu'avec la gauche, ce qui donne, là aussi, un peu de poids au macronisme. M. Zemmour réincarne la Marine Le Pen de naguère, celle qui voulait sortir de l'Europe et de l'euro et bannir les migrants. L'extrême droite ressemble au Covid : le variant du virus est plus dangereux que la souche originale. Les communistes ne peuvent même pas s'allier avec M. Mélenchon, allez savoir pourquoi, sauf si vous avez compris de quel bois est fait le chef de LFI. Quant aux écolos, ils voudraient réunir tout ce qui est à gauche, mais les derniers socialistes se battent le dos au mur pour exister, ne fût-ce que le temps de la campagne.
Moi, j'éprouve un peu de commisération pour des candidats aussi mal engagés. Ce sont des matamores obligés de prétendre qu'ils restent insensibles à des sondages prématurés, peut-être fallacieux, un brin suspects. La campagne est celle des constructions fragiles, LR qui prend son temps pour désigner son représentant pendant que fond son électorat, LFI qui se présente en parti de gouvernement malgré ses 10 %, l'extrême droite écartelée, et même la macronie qui n'est plus ce qu'elle était : elle a perdu quarante-cinq députés depuis 2017.
Un atout pour M. Macron : il a décidé de faire campagne avant même d'annoncer sa candidature, ce qui lui vaut les critiques offusquées de ses adversaires, qui en sont là, à le critiquer encore et toujours, comme si le bien la plus précieux de la République était les bonnes manières. J'entends M. Macron grogner à l'Élysée : « Ils me réclament le rétablissement de l'Impôt sur la fortune et, en même temps, ils proposent d'abolir les droits de succession ! » Ils, qui est-ce ? En vérité, on ne le sait plus tant la cacophonie est assommante. On vous l'avez bien dit, qu'il faut maintenant être à la fois de gauche et de droite !