Jusqu’ici considérés comme inutilisables pour les troubles cérébraux, les nanocorps dérivés de camélidés (chameau, lama, alpaga…) commencent à faire leurs preuves comme neurothérapies dans la schizophrénie et la maladie d’Alzheimer. Ils se placent en alternative aux anticorps conventionnels, qui pénètrent mal la barrière hématoencéphalique et qui, du fait d’injections répétées à fortes doses, causent des effets indésirables comme des microhémorragies et des œdèmes.
Alors que quatre nanocorps sont approuvés pour des maladies périphériques, le développement dans les troubles cérébraux n’en est qu’à ses prémices. Particulièrement versatiles, avec une structure simple, les nanocorps peuvent être développés pour se lier à un large spectre de récepteurs cérébraux, rendant leur usage envisageable dans plusieurs maladies neurodégénératives (Alzheimer, Parkinson), des maladies psychiatriques voire des tumeurs cérébrales.
Les nanocorps de camélidés révolutionnent notre approche des thérapies
Philippe Rondard, chercheur à l’Institut de génomique fonctionnelle
Une équipe de recherche montpelliéraine aborde l’état des lieux des connaissances sur ces « alternatives prometteuses » dans un article publié dans la revue Trends in Pharmacological Sciences de Cell Press. « Les nanocorps de camélidés ouvrent une nouvelle ère des thérapies biologiques pour les troubles cérébraux et révolutionnent notre approche des thérapies », explique Philippe Rondard, chercheur à l’Institut de génomique fonctionnelle (CNRS, Inserm, université de Montpellier) et coauteur de l’étude. « Nous croyons qu’ils peuvent former une nouvelle classe de médicament, entre les anticorps conventionnels et les petites molécules », ajoute-t-il.
Les nanocorps sont des molécules intéressantes de par leur modularité et leur basse immunogénicité. Ils sont 10 fois plus petits que les immunoglobulines G, ils ont une haute affinité et spécificité vis-à-vis de leur cible. « Ces petites protéines hautement solubles peuvent parvenir au cerveau passivement, commente Pierre-André Lafon, lui aussi coauteur de l’étude et chercheur à l’Institut de génomique fonctionnelle (IGF). À l’inverse, les traitements à base de petites molécules sont de nature hydrophobe, ce qui limite leur biodisponibilité, augmentant le risque de liaison hors cible et d’effets indésirables. »
Un nanocorps améliore la cognition d’un modèle murin de schizophrénie
En juillet, l’équipe de recherche a publié dans la revue Nature une preuve de concept validant le développement des nanocorps. Les chercheurs ont développé un anticorps bivalent biparatopique (DN13-DN1) à partir de deux nanocorps de camélidés à chaîne lourde, l’un se liant au récepteur homodimérique métabotropique du glutamate 2 (mGlu2) et l’autre potentialisant son activité.
L’étude montre la capacité de DN13-DN1 à atteindre le cerveau dès la première heure après injection intrapéritonéale dans un modèle marin de schizophrénie, dans plusieurs régions, notamment le cortex, l’hippocampe et l’aire tegmentale ventrale. Ainsi, l’injection de nanocorps a permis d’améliorer la mémoire de reconnaissance, la mémoire de travail et le filtrage sensoriel des souris traitées.
À cause de leur petite taille, la clairance des nanocorps est rapide. Il était théorisé que cela les empêchait d’atteindre le parenchyme et leurs cibles. Les résultats sur les souris sont différents. Bien que seulement 0,1 % de la dose pénètre dans le cerveau, cela suffit à exercer une activité bénéfique pendant au moins sept jours, un temps significativement supérieur aux agonistes mGlu2/3 (antipsychotiques conventionnellement utilisés).
Avant la clinique, comprendre les mécanismes de pénétration cérébrale
Malgré ces résultats précliniques prometteurs, avant d’envisager tout essai sur l’humain, il est indispensable de clarifier les mécanismes selon lesquels les nanocorps pénètrent le cerveau. Dans le cas général, l’étude apporte des preuves préliminaires suggérant que ces molécules passeraient par des capillaires fenestrés, une voie qui ne peut être empruntée par de plus grandes molécules telles que les IgG mais qui peut l’être par des hormones peptidiques de régulation de la satiété, de taille similaire. En cas de pathologie (neuro-inflammation, tumorogenèse), l’intégrité de la barrière hémato-encéphalique pourrait être compromise, facilitant la diffusion passive et le transport paracellulaire de petites protéines, dont les nanocorps.
Certains nanocorps traverseraient la barrière hémato-encéphalique en se liant à leur cible au cours de la transcytose (c’est-à-dire un transport de l’espace extracellulaire à travers le cytoplasme après endocytose et transit dans une vésicule). Dans ce cas, il serait possible de créer des nanocorps qui se lieraient aussi à des récepteurs tels que ceux à transferrine ou à l’insuline qui franchissent naturellement la barrière hémato-encéphalique.
« Quant aux nanocorps eux-mêmes, il sera aussi nécessaire d’évaluer leur stabilité, confirmer leur bon repliement et s’assurer de l’absence d’agrégation », avertit Philippe Rondard. De son côté, Pierre-André Lafon indique que « le laboratoire a commencé à étudier plusieurs de ces paramètres pour quelques nanocorps et montré que les conditions de traitement sont compatibles avec des thérapies chroniques ».
Les auteurs concluent leur article en appelant à « considérer sérieusement les nanocorps comme des candidats médicamenteux pour les troubles cérébraux. De telles immunothérapies, administrées en périphérie à basse fréquence, pourraient ouvrir des voies totalement nouvelles pour la prise en charge clinique de maladies psychiatriques et neurodégénératives, et au-delà. »
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