L’oncologue Fabrice André, président de l’ESMO, directeur de la recherche de Gustave Roussy et professeur de médecine à l’université Paris-Saclay, est revenu sur les nouvelles stratégies selon lui les plus prometteuses dans la prise en charge des cancers. Alors que le cancer demeure la deuxième cause de mortalité dans le monde et que les traitements actuels montrent leurs limites, les pistes thérapeutiques se diversifient. Enrichir l’arsenal médicamenteux « ne suffira pas », soutient Fabrice André. Aujourd’hui, explique-t-il, les espoirs ne reposent plus que sur la découverte de nouvelles molécules anticancéreuses, mais sont enrichis de nouvelles approches. Le choix de la bonne dose et du bon schéma est une piste proposée par l’oncologue, « pour certains patients, on peut opter pour cette désescalade, avec moins de toxicité (du traitement), et pour le système de santé, moins de ressources nécessaires. »
Autre alternative, la détection précoce du cancer, grâce à de nouvelles stratégies de diagnostic, qui « favorise une bonne stratégie de soins en aidant à mieux positionner les médicaments », ajoute-t-il. Par ailleurs, en amont du recours à la chimiothérapie, c’est de la prévention que s’emparent de plus en plus les sociétés savantes. Outre les incitations à se protéger du soleil ou à ne pas fumer, « émerge une prévention ciblant des personnes à très fort risque de cancer, auxquelles on donne un traitement avant l'apparition de tumeurs, par exemple immunothérapie à des patients ayant un pré-cancer détectable », détaille Fabrice André. Les médicaments restent toutefois un pilier majeur pour améliorer la survie d’un cancer, souligne-t-il. Et de conclure « la famille des médicaments conjugués, des anticorps qui embarquent de la chimiothérapie dans les cellules cancéreuses, a déjà une efficacité démontrée pour des patients avec des métastases. Cette classe de médicaments montre désormais une efficacité importante pour des patients avec un cancer localisé, par exemple du sein ou de la vessie. Comme les cancers localisés sont plus faciles à guérir que les cancers métastatiques, cela peut avoir de vrais impacts en santé publique. »
Prévention du cancer : quels sont les médicaments efficaces ?
Une étude française publiée identifie les traitements les plus efficaces dans la prévention de différents cancers
Quels sont les médicaments les plus efficaces pour prévenir le cancer ? C’est la question à laquelle ont tenté de répondre Alexandre Xu-Vuillard de l’Institut Gustave Roussy et son équipe. Conclusion : les vaccins HPV, le tamoxifène, les agents anti-infectieux et AINS se classent en tête du classement. Les vaccins contre les HPV sont hautement efficaces pour prévenir les cancers liés à ce virus ; les traitements hormonaux, tels que le tamoxifène, ont également démontré leur intérêt, en réduisant significativement le risque de cancer du sein chez les femmes à haut risque et dans le cancer de la prostate ; les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), notamment l’aspirine, ont montré leur capacité à limiter la formation de polypes colorectaux dans plusieurs études.
Sur ce dernier traitement, le constat ne s’applique cependant pas aux sujets âgés, pour lesquels un surrisque cardiovasculaire ou hémorragique est relevé. Sans surprise, les essais évaluant les capacités de prévention du cancer des vitamines et des compléments alimentaires sont des échecs. En effet, sur les 38 essais concernés, 29 se sont révélés négatifs et trois ont mis en évidence des effets indésirables graves. Le bêta-carotène est même associé à une augmentation du risque de cancer du poumon et les associations comprenant la vitamine E à une hausse du risque de cancer de la prostate. Très peu de médicaments ont été développés dans l’objectif de prévenir l’apparition du cancer et les efforts se concentrent sur les facteurs de risques, rapporte l’Institut Gustave Roussy dans un communiqué. Malheureusement, « agir uniquement sur les facteurs de risque ne suffira pas : il faudra aussi développer des approches médicamenteuses de prévention, plaide Alexandre Xu-Vuillard. Nous espérons que ces résultats contribueront à stimuler de nouveaux programmes de recherche dans ce domaine encore trop négligé de la cancérologie », conclut l’oncologue de Gustave Roussy.
Analogues du GLP-1 : la nouvelle panacée
La perte de poids induite par les nouveaux traitements antidiabétiques semble agir positivement sur le risque de cancer lié à l’obésité et sur le risque global de cancer. Maladies cardiovasculaires, maladie du foie gras non alcoolique, apnée du sommeil, arthrite rhumatoïde ou encore maladies neurodégénératives telle qu’Alzheimer… Déjà révolutionnaires dans la prise en charge du diabète de type 2, les analogues du GLP-1 (aGLP-1) semblent disposer d’un large éventail de bénéfices cliniques. Une réduction du risque pour 10 cancers liés à l’obésité a même été suggérée par deux vastes études rétrospectives, qui ont comparé d’une part des diabétiques de type 2 traités avec de l’insuline contre des analogues du GLP-1 et, d’autre part, des diabétiques de types 2 traités par des analogues du GLP-1 contre des malades ne suivant pas de traitement. Plus encourageant encore, un risque plus faible de cancer, tout type confondu, a même été mis en évidence dans une analyse ultérieure pour les patients traités par un aGLP-1 versus ceux n’en prenant pas.
« Les modèles animaux fournissent des données cohérentes et encourageantes, dans la mesure où les rongeurs, tout comme les humains, présentent une perte de poids significative et une amélioration des biomarqueurs de la santé métabolique en réponse au traitement par aGLP-1, note Stephen David Hursting, professeur au département de nutrition et auteur de la communication. Une perte de poids intentionnelle prononcée semble être associée à une reprogrammation métabolique et immunitaire, entraînant le passage d'un environnement obèse, immunodéprimé, inflammatoire et métaboliquement altéré à un environnement immunitaire sain caractérisé par une augmentation des lymphocytes T anticancéreux et une réduction de l'inflammation. »
Allaitement et grossesse boostent l’immunité mammaire et protègent du cancer du sein
La raison pour laquelle les femmes ayant porté un enfant et allaité ont un risque réduit de cancer du sein, notamment de triple négatif (CSTN), est désormais connue. Selon les résultats de Sherene Loi, oncologue spécialiste du cancer du sein au Peter MacCallum Cancer Centre de Melbourne, et son équipe, le tissu mammaire des femmes ayant déjà accouché contenait significativement plus de lymphocytes T CD8+. C’est aussi le cas pour des cellules immunitaires mémoire, qui persistent durant des décennies après l’accouchement, par rapport aux femmes nullipares. Dans les modèles murins, les données indiquent un mécanisme similaire.
Le fait d’avoir accouché et allaité a été associé à une densité intratumorale plus élevée de cellules T CD8+ et à une amélioration de la survie dans les cas de CSTN à un stade précoce
Sherene Loi, oncologue
La grossesse suivie de la lactation et de l'involution a entraîné l'accumulation de lymphocytes T CD8+ dans la glande mammaire, ce qui a coïncidé avec une réduction de la croissance tumorale et une augmentation de l'infiltration des cellules immunitaires intratumorales. Par ailleurs, en adéquation avec les résultats chez les souris, « le fait d’avoir accouché et allaité a été associé à une densité intratumorale plus élevée de cellules T CD8+ et à une amélioration de la survie dans les cas de CSTN à un stade précoce », détaille l’oncologue. Et de conclure : « les antécédents reproductifs influencent la surveillance immunitaire à long terme du sein grâce à des lymphocytes T CD8+ durables. Ces résultats modifient notre perception de l'immunité dans le cancer du sein, la plaçant non seulement comme une cible thérapeutique, mais aussi comme un facteur déterminant du risque de cancer. » Le mécanisme sous jacent à ces observations reste cependant à découvrir.
La bonne dose selon le bon schéma.
Les résultats préliminaires d’une étude franco-espagnole montrent que le traitement post-opératoire pourrait être allégé chez plus de la moitié des patientes atteintes d’un cancer du sein hormonodépendant.
Chez plus de la moitié des patientes, la chimiothérapie prescrite après l’opération pour réduire le risque de récidive pourrait être remplacée par un traitement moins toxique améliorant considérablement la qualité de vie. Cette conclusion préliminaire est le fruit du travail de l’équipe de Paul Cottu, oncologue médical à l’Institut Curie et de celle de Aleix Prat, oncologue médical à l’Hôpital clinique de Barcelone. Les patientes incluses dans l’étude présentent un cancer du sein hormonodépendant de stade 2/3 et ont suivi un traitement préopératoire comprenant une thérapie ciblée (inhibiteur CDK4/6 - ribociclib) associée à une hormonothérapie (létrozole) pendant 6 mois, avant d’être opérées. Les médecins ont ensuite utilisé le score génomique de risque de récidive (ROR – risk of recurrence) pour adapter le traitement. L’objectif était d’orienter le traitement adjuvant en fonction du profil moléculaire de la tumeur de chaque patiente, obtenu après le traitement préopératoire par létrozole et ribociclib. « Nous avions prévu que la chimiothérapie serait évitée chez 40 % des patientes, mais les résultats obtenus dépassent nos attentes : ce sont jusqu’à présent plus de 52 % des patientes qui ont pu éviter la chimiothérapie », se réjouit Paul Cottu. Les patientes restantes seront opérées d’ici mars 2026, puis une phase de surveillance s’ouvrira pour 5 ans. « Nous espérons pouvoir définir les critères clairs, nécessaires pour adapter et personnaliser les traitements, épargnant une chimiothérapie quand cela est possible, tout en réduisant le risque de récidive, conclut l’oncologue de l’Institut Curie. À l’avenir, nous espérons changer les pratiques pour 30 à 40 % des femmes atteintes de cancer du sein hormonodépendant et ainsi améliorer leur qualité de vie. »
D’après un entretien avec Fabrice André, président du congrès de l’ESMO et oncologue à Gustave Roussy
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