Le Quotidien du pharmacien.- Quelle a été votre première réaction lorsque le Premier ministre, Sébastien Lecornu, a évoqué la création du réseau France Santé lors de son premier déplacement officiel à Mâcon le 13 septembre ?
Corinne Imbert. - Lorsque j’ai entendu le Premier ministre l’évoquer pour la première fois, j’ai été grandement étonnée. Pour parler simplement, je me suis demandé d’où sortait ce truc ? D’où est-ce que ça tombait ? Est-ce qu’il s’agissait simplement d’un nouveau coup de communication, d’une belle histoire que l’on essayait de raconter ? On ajoute le joli nom « France » à celui de la santé, mais ensuite, qu’est-ce qu’il y a précisément derrière ? Lorsque le Premier ministre en a parlé pour la première fois, rappelons qu’il n’y avait alors pas de ministre de la Santé en fonction. Pourquoi et comment cette idée est-elle venue et, surtout, pourquoi veut-on mettre cela en place aussi vite ? Je n’ai pas de réponse à cette question.
Les objectifs portés par la création de ce label semblent pourtant louables ?
L’accès aux soins est bien sûr au cœur de nos préoccupations, encore davantage à quelques mois des municipales. Quand on entend les déclarations du Premier ministre au sujet des objectifs du réseau France Santé : « Permettre à chaque Français d’accéder à une solution de santé en moins de 30 minutes et obtenir un rendez-vous médical sous 48 heures », en excluant de plus les dépassements d’honoraires, on ne peut pas être contre. Pour financer ce réseau, il faudra cependant 250 millions d’euros sur 2 ans. C’est beaucoup d’argent, surtout à l’heure où l’on demande aux professionnels de santé de faire autant d’efforts, des économies de plusieurs centaines de millions d’euros. J’exerce en territoire rural (en Charente-Maritime) et cette notion d’accès aux soins en moins de 30 minutes, je sais ce que cela signifie. Or, dans ce rayon accessible en 30 minutes ou moins, il y a déjà des structures qui existent. En France, il y a des pharmacies, des maisons de santé, des hôpitaux… qui prennent déjà en charge les patients. Je l’ai rappelé dans mon amendement : « Cette mesure n’augmente pas le nombre de structures de soins de premiers recours, elle ouvre la voie à un “label” pour celles qui concluent une convention avec les agences régionales de santé et l’assurance-maladie ». Avec cette labellisation France Santé, que va-t-on faire ? On va rendre visibles les structures qui auront ce label et que vont alors devenir les autres ? On va les ignorer ou les mépriser ?
Fallait-il envisager d’autres solutions que la création de ce réseau France Santé ?
Il y a déjà des mesures qui existent pour améliorer l’accès aux soins, même si l’on peut considérer que cela n’évolue pas assez vite. Je pense notamment à l’adoption au mois de mai de la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins dans les territoires. Je l’ai dit à la ministre de la Santé, il existe déjà une structure qui est visible de tous, c’est la croix verte de la pharmacie, même si, bien sûr, les officinaux ne peuvent pas tout, ce ne sont pas eux qui vont faire du diagnostic. Il faut rendre plus visible les structures qui existent déjà, ne pas oublier les cabinets médicaux, les infirmières… tous ceux qui prennent déjà en charge des patients et passent parfois sous les radars. Ce qui est certain, c’est que l’amélioration de l’accès aux soins passera par la coordination entre les différentes professions de santé. On ne peut pas faire évoluer le système en allant contre les professionnels, il faut construire avec eux. En résumé, il y a beaucoup à faire sur le sujet de l’accès aux soins mais sans doute pas de la manière envisagée avec ce réseau France Santé.
Une aide forfaitaire de 50 000 euros est prévue pour les établissements ou structures labellisés pour qu’elles puissent investir, tant sur l’aspect humain que matériel. Cette subvention ne peut-elle pas tout de même avoir un impact positif ?
Ces 50 000 euros peuvent avoir un effet d’aubaine pour les structures qui vont en bénéficier. Il est certain qu’aucune structure ou établissement ne va refuser une telle somme si on la lui propose. Maintenant, peu de choses sont demandées en contrepartie du versement de cette somme. Le gouvernement a en effet compris qu’il ne pouvait pas en demander davantage aux professionnels de santé. Que pourrait-on leur demander de faire de plus que ce qu’ils ne font déjà ? La ministre de la Santé a indiqué que les pharmacies pourraient elles-mêmes participer au réseau France Santé comme lieu de soins de premier recours, notamment pour celles qui permettront d’améliorer l’accès aux soins par le recours encadré à la télémédecine. Or, il existe déjà une aide forfaitaire pour les officinaux qui veulent s’équiper. 50 000 euros, c’est beaucoup d’argent mais en même temps, ce n’est pas non plus ce qui va nous permettre d’avoir davantage de médecins. Cela ne va pas non plus suffire à payer un professionnel à temps plein. Donc on va demander à ces établissements labellisés France Santé de faire mieux, mais qui vont-ils pouvoir recruter pour remplir cet objectif ?
D'autres dossiers vous semblaient-ils plus urgents à régler ?
L’aide allouée à ce label est une voie de sauvegarde, une perfusion, ce n’est pas ça qui va sauver le système de santé. Donner un label c’est une idée louable mais à quoi cela sert quand on n’a pas suffisamment de médecins pour s’occuper des patients ? Pour moi, le gouvernement se trompe de sujet. Nous avons par exemple un dossier urgent en ce moment qui est l’accueil des docteurs juniors… Leurs lieux d’accueil de stage ne sont pas encore déterminés dans de nombreux départements. Ce sont des jeunes diplômés qui vont venir en renfort dans des lieux où l’on a besoin d’eux et sur ce point nous ne sommes pas encore prêts. Cela devrait être une priorité pour le ministère. Quant à d’autres évolutions qui sont adossées à la création de ce réseau France Santé, rappelons par exemple que la généralisation d’OSyS était déjà prévue dans la proposition de loi défendue par le sénateur Philippe Mouiller. Cette idée a donc été reprise par le gouvernement. L’aide financière aux pharmacies des territoires fragiles pouvait elle aussi être élargie sans l’existence de France Santé.
France Santé va-t-il signer tôt ou tard la mort des CPTS ?
Le Sénat a récemment publié un rapport, que je qualifierais d’équilibré, sur les CPTS. Ce qu’on constate, c’est qu’il y a des CPTS qui fonctionnent très bien et d’autres moins, tout dépend en fait du travail qui est fait par les femmes et les hommes qui travaillent ensemble dans ces structures. Parfois, des CPAM demandent des comptes à des CPTS et certaines d’entre elles refusent tout simplement de leur répondre ! Il y a donc de très mauvais élèves, mais ce n’est pas pour cela qu’il faut punir toute la classe. Ce que j’observe en tout cas, c’est que la Fédération des CPTS n’a aucune envie d’être noyée dans le réseau France Santé. Le gouvernement a précisé qu’il ne voulait pas les faire disparaître mais ce que l’on peut redouter c’est qu’une partie du financement qui leur est accordé ne soit redirigée vers ce nouveau réseau.
Au Sénat, le 19 novembre, vous avez dénoncé un problème au niveau de la méthode employée par le gouvernement, « aucune concertation des acteurs » de la santé et une « labellisation à marche forcée ». Vous avez donc déposé un amendement visant à supprimer plusieurs dispositions de l’article 21 bis du PLFSS qui prévoit la mise en place de ce réseau (l'amendement a été adopté au Sénat en séance publique le 23 novembre). A-t-il des chances d’aboutir ?
Pour moi c’est un principe immuable. Je refuse toute décision concernant les médecins ou les pharmaciens qui soit prise de manière unilatérale par le gouvernement, sans passer donc par des négociations conventionnelles. J’ai déposé un amendement visant à supprimer les dispositions relatives au réseau France Santé ainsi qu’à la modification des missions et à la nouvelle dénomination des communautés professionnelles territoriales de santé. Comme je l’ai écrit dans cet amendement : « le gouvernement doit engager un dialogue sérieux et constructif avec les professionnels, les territoires et le Parlement afin de répondre réellement aux attentes des Français et non à un quelconque calendrier politique ». Même si cet amendement venait à être voté par les sénateurs (il a été adopté, NDLR), je n’ai cependant pas de doutes sur le fait que l’exécutif fera tout son possible pour représenter son texte à l’Assemblée nationale.
Que vous disent vos confrères et consœurs pharmaciens lorsque vous parlez de ce sujet avec eux ?
J’en ai parlé à un jeune pharmacien il y a quelques jours et sa réponse spontanée a été de dire : « Encore de l’argent que l’on va jeter par les fenêtres ». Pour moi, il était important de dire clairement ce que je pensais de ce sujet. Je sais qu’à l’Assemblée nationale aussi certains ont des doutes même s’ils n’ont pas osé le dire aussi franchement. De mon côté, j’en ai assez que l’on essaie de faire croire aux Français que l’on va améliorer le système de santé à coups de logo et d’opérations de communication.
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