Cas de comptoir
Le contexte :
Diane, 35 ans : « Cette nuit encore, j’ai mal dormi. J’ai écouté des podcasts toute la nuit, impossible de me rendormir ! »
Les questions à poser :
Quel âge avez-vous ? Avez-vous des difficultés à vous endormir ? Vous réveillez-vous plusieurs fois dans la nuit ? Vers quelle heure ? Que faites-vous alors ? Depuis combien de temps avez-vous ces troubles ? Prenez-vous des médicaments ? Quelle est votre alimentation ?
À chaque âge son sommeil
Le sommeil lent est composé de 3 stades :
- N1 : l’endormissement ou l’état de somnolence, avec une diminution de l’état de conscience, un ralentissement de la respiration, et un relâchement du tonus musculaire ;
- N2 : le sommeil léger (50 % du temps de sommeil total au cours d’une nuit) ;
- N3 : le sommeil profond (25 % du temps de sommeil total), phase de récupération physique, de mémorisation. Un réveil durant cette phase est responsable de fatigue au réveil.
Le sommeil paradoxal (appelé aussi « sommeil à mouvements oculaires rapides », ou encore « sommeil agité chez le nouveau-né »), correspond la phase des rêves dont on se souvient le mieux, plutôt en fin de nuit. L’activité cérébrale est intense, proche de celle de la phase d’éveil. Elle a un rôle prépondérant dans la maturation du système nerveux et la mémorisation.
La nuit d’un jeune adulte comprend 4 à 6 cycles successifs d’environ 90 minutes, qui contiennent des proportions variables de sommeil N1, N2, N3 et paradoxal. Le sommeil profond est surtout présent dans la première moitié de la nuit à l’inverse des sommeils léger et paradoxal.
Chaque âge a ses particularités de sommeil : chez l’enfant, le sommeil lent profond occupe une bonne partie de la nuit, expliquant la survenue possible d’éveils confusionnels, de terreurs nocturnes, de somnambulisme. Chez l’adolescent, les bouleversements hormonaux et les modifications comportementales (couchers tardifs, grasses matinées le week-end) peuvent être à l’origine d’irritabilité, de troubles de la concentration, de manque de lucidité vis-à-vis d’actes commis, d’augmentation d’anxiété ou de dépression…
L’adulte, quant à lui, doit faire face à des contraintes professionnelles (horaires décalés, stress au travail, temps de trajet…), et des contraintes familiales (vie de famille, jeunes enfants…). Chez la personne âgée, le sommeil devient moins profond, les troubles du sommeil plus fréquents, le coucher se fait de plus en plus tôt (on dit qu’il y a une avance de phase), aggravé par le rythme de vie en institution.
Quelques définitions
L’insomnie se manifeste par des difficultés à s’endormir, des réveils pendant la nuit avec des difficultés à se rendormir, un réveil trop précoce le matin, une sensation de sommeil non récupérateur. Elle est chronique lorsqu’elle survient au moins trois fois par semaine depuis au moins trois mois. Les conséquences en journée sont diverses : fatigue, difficultés de concentration ou d’attention, irritabilité, somnolence diurne, baisse de motivation…
Le syndrome d’apnée du sommeil se caractérise par un arrêt ou une diminution significative du flux respiratoire. Il peut se traduire par une somnolence diurne, des réveils nocturnes répétés, des sensations d’étouffement nocturne, un sommeil non réparateur, des ronflements sévères et quotidiens, des troubles de la concentration…
Le syndrome des jambes sans repos est une affection neurologique sensorimotrice caractérisée par un besoin impérieux de bouger les membres, dépendant de l’activité en cours et de l’heure du jour.
La mélatonine est une hormone synthétisée à partir de la sérotonine (dont le précurseur est le tryptophane) et sécrétée naturellement par la glande pinéale. Sur le plan physiologique, la sécrétion de mélatonine augmente peu après la tombée de la nuit, est à son maximum entre 2 et 4 heures du matin et diminue durant la seconde moitié de la nuit. Avec une concentration haute pendant la nuit et basse pendant la journée, elle sert de marqueur des rythmes circadiens et régule le rythme jour-nuit. À noter aussi que plus les nuits sont longues l’hiver, plus longuement elle est produite.
La production de mélatonine dépend des informations données par le noyau suprachiasmatique, et en même temps la mélatonine exerce un rétrocontrôle sur le noyau suprachiasmatique pour assurer la régulation circadienne de l’horloge biologique elle-même. Ce système autorise la synchronisation circadienne de nombreuses fonctions physiologiques (hormonales, métaboliques, régulation de la température interne…) et comportementales (horaires de prises alimentaires, horaires habituels de lever et de coucher…).
Zoom sur la physiopathologie
Les troubles du sommeil ont un impact sur :
- Le maintien de la vigilance en journée, avec un risque de somnolence diurne et de troubles de l’attention ;
- La reconstitution des stocks énergétiques des cellules musculaires et nerveuses ;
- La production d’hormones et en particulier l’hormone de croissance et la mélatonine ;
- Le risque de maladies cardiovasculaires, d’obésité, de diabète, de cancer ;
- L’élimination des toxines ;
- La stimulation des défenses immunitaires ;
- La santé mentale : régulation de l’humeur, activation du stress ;
- Les mécanismes d’apprentissage et de mémorisation…
De récentes études révèlent également que l’altération de la qualité du sommeil serait un signe d’alerte précoce du développement de maladies neurodégénératives.
L’altération de la qualité du sommeil serait un signe d’alerte précoce du développement de maladies neurodégénératives
L’insomnie trouve différentes origines :
- Anxiété (difficultés d’endormissement), stress, dépression (réveils précoces en milieu et fin de nuit), qui sont à l’origine de plus de la moitié des insomnies ;
- RGO, asthme nocturne, douleurs, troubles prostatiques ou endocriniens ;
- Environnement (bruit, température, consommation d’alcool ou de médicaments, lumière…) ;
- Syndrome des jambes sans repos ;
- Apnée du sommeil (qui touche 4 % des hommes et 2 % des femmes, 10 % des plus de 50 ans), dont les facteurs de risque sont l’âge, la ménopause, la position en décubitus dorsal, des facteurs anatomiques (positionnement postérieur de la langue), l’obésité, les hormones.
Conduite à tenir
Hygiène de vie
- Se lever et se coucher à heures régulières. En particulier, se lever à la même heure y compris le week-end, permettra de synchroniser le rythme veille-sommeil et de réguler le besoin de sommeil du soir, à condition d’être attentif aux signes annonciateurs (bâillements, yeux qui piquent…).
- En cas de réveil le matin même très tôt, se lever et commencer la journée. Ne pas chercher à tout prix à se rendormir.
- Adopter un réveil dynamique : lumière forte, exercices d’étirement, petit déjeuner complet.
- Pratiquer un exercice physique régulier favorise l’endormissement, diminue les réveils nocturnes, augmente le sommeil profond et la durée du sommeil, et augmente la vigilance diurne. En revanche, éviter l’exercice physique en soirée, après 19 heures.
- Limiter la sieste à moins de 30 minutes et en début d’après-midi.
- Éviter les excitants après 16 heures : café, thé, soda, tabac… La caféine présente un effet inhibiteur sur la mélatonine et ce pendant six heures (1/2 vie d’élimination de la caféine).
- Éviter l’alcool et le tabac le soir. La nicotine est un stimulant qui retarde l’endormissement, augmente les réveils nocturnes et rend le sommeil plus léger. L’alcool a une action sédative mais va favoriser des réveils nocturnes fréquents.
- Favoriser un dîner léger en privilégiant des aliments riches en tryptophane qui stimulent la production de mélatonine (fromage blanc, amandes, noisettes, légumes secs, céréales complètes), et en évitant les protéines (elles augmentent la production de tyrosine et donc de dopamine) et les aliments qui produisent du reflux gastro-œsophagien.
- Être vigilant sur la température de la pièce : ni trop chaud, ni trop froid (18-19 °C).
- Limiter l’exposition à la lumière (y compris les écrans) 1 heure avant le coucher : la lumière contrarie la production de mélatonine.
- Limiter l’exposition au bruit : à partir de 45 dB, des stimulations sonores provoquent des altérations de la profondeur du sommeil et peuvent même induire un réveil complet.
- Favoriser des activités relaxantes le soir (lecture, musique) et a contrario éviter les activités intellectuelles intenses, fuir les idées négatives et les ruminations de la journée passée. Un rituel du coucher peut aider à un autoconditionnement qui favorise l’endormissement.
- Adopter la technique du contrôle de stimulus : c’est une technique retrouvée souvent en TCC (thérapie cognitive et comportementale), qui consiste à renforcer le lien entre le lit et le sommeil. Pendant le jour, ne pas utiliser le lit (pour manger, regarder le téléphone, la télévision) et la nuit, sortir du lit lors des réveils prolongés, revenir au lit seulement au moment des signes de somnolence. Cette technique est fréquemment associée à une restriction du temps passé au lit, les insomniaques ayant tendance à passer plus de temps au lit en pensant que cela les aidera à dormir plus.
« Quels médicaments prenez-vous ? »
Attention aux médicaments qui causent ou aggravent les insomnies : méthylphénidate, antidépresseurs, antiparkinsoniens, bêtabloquants, corticoïdes…
Attention aussi à ceux qui peuvent provoquer des cauchemars et contribuent ainsi à un mauvais sommeil : benzodiazépines, opioïdes, antidépresseurs, triptans, bêtabloquants (y compris en collyres), amiodarone…
Les produits du conseil
Mélatonine
Dans les troubles du sommeil, la mélatonine est commercialisée sous forme de complément alimentaire avec l’allégation suivante : “contribue à réduire le temps d’endormissement”, par resynchronisation de l’organisme. L’effet est bénéfique à partir d’1 mg avant le coucher. À partir de 2 mg, la mélatonine ne peut être commercialisée que sous forme de médicament.
Dans les troubles du sommeil, il existe parmi les compléments alimentaires des dosages variant de 1 à 1,9 mg, des formes à libération immédiate pour les patients ayant des difficultés à s’endormir, des formes à libération prolongée pour ceux qui se réveillent dans la nuit, ou des formes “bicouches” avec à la fois une libération rapide et une libération prolongée. Les dosages de ces formes bicouches sont variables selon les spécialités. De même, les durées de traitement indiquées sont variables : du “si besoin” à une durée maximum de 2 mois.
Lors du conseil de mélatonine, plusieurs situations nécessitent une vigilance :
- Attention aux intoxications chez les enfants : en cas d'ingestion accidentelle, la mélatonine expose les enfants à des intoxications graves avec des symptômes surtout digestifs, cardiovasculaires et neuropsychiques tels que des convulsions et des états de mal convulsif. Certaines formes et certains goûts ressemblent à des bonbons ;
- Depuis 2018, l’ANSES a mis en évidence l’existence de populations et de situations à risque pour lesquelles la consommation de mélatonine sous forme de complément alimentaire doit être évitée ou soumise à un avis médical. Il s’agit en particulier des femmes enceintes et allaitantes, des enfants et des adolescents, des personnes souffrant de maladies inflammatoires, auto-immunes, d’épilepsie, d’asthme, de troubles de l’humeur, du comportement ou de la personnalité, ainsi que des personnes suivant un traitement médicamenteux. La consommation est également déconseillée pour les personnes devant réaliser une activité nécessitant une vigilance soutenue chez lesquelles une somnolence pourrait poser un problème de sécurité.
2 mg A partir de 2 mg, la mélatonine ne peut être commercialisée que sous forme de médicament.
Autres
On retrouve aussi dans certains compléments alimentaires le GABA (acide gamma-aminobutyrique), neurotransmetteur qui freine l’activité neuronale (détente mentale et physique) et intervient dans la transition entre l'éveil et le repos nocturne en ralentissant progressivement les ondes cérébrales.
Le magnésium activerait la production de mélatonine par la glande pinéale, synchronisant notre rythme circadien avec l'alternance jour-nuit.
Phytothérapie
La valériane (Valeriana officinalis) favorise l’endormissement (penser au V de valériane comme « Vite au lit »).
La passiflore (Passiflora incarnata) permet ainsi de faciliter l’endormissement et de favoriser l’apparition d’un sommeil réparateur.
La mélisse (Melissa officinalis) est utilisée en cas de difficultés à s’endormir qui sont liées à la nervosité.
L’eschscholtzia (Eschscholzia californica) est particulièrement intéressante pour diminuer les réveils nocturnes et prolonger le temps de sommeil chez les patients se plaignant de réveils précoces (penser au E d’eschscholtzia comme « Encore au lit »).
Aromathérapie
L’huile essentielle de petit grain bigaradier (Citrus aurantium ssp amara) est utilisée lors de difficultés à s’endormir liées à des ruminations mentales ou lorsque le sommeil est peu réparateur et qu’on se sent fatigué au réveil.
L’huile essentielle de mandarinier (Citrus reticulata) est utilisée en cas de difficultés à s’endormir liées à la nervosité, ou en cas de réveils précoces le matin.
L’huile essentielle de bergamotier (Citrus bergamia) peut être utilisée en cas de sommeil perturbé par un décalage horaire ou un travail à horaires décalés.
Les HE de Citrus doivent toujours être diluées (irritantes).
L’huile essentielle de lavande vraie (Lavandula angustifolia ssp angustifolia) est utilisée en cas de réveils nocturnes avec ruminations mentales.
Testez-vous
1. Le sommeil profond :
a) Représente 50 % du temps de sommeil ;
b) Est principalement présent en première moitié de nuit ;
c) Est le sommeil à mouvements oculaires rapides.
2. La mélatonine :
a) Est synthétisée à partir de la sérotonine ;
b) Est synthétisée à partir de la dopamine ;
c) Sert de marqueur des rythmes circadiens.
3. Quels conseils donner à nos patients ?
a) Éviter la consommation de caféine qui inhibe la production de mélatonine ;
b) Privilégier des aliments riches en tryptophane le soir ;
c) Éviter les aliments riches en tryptophane le soir.
4. La mélatonine :
a) Peut être responsable d’intoxications chez l’enfant ;
b) « Contribue à réduire le temps d’endormissement » dès 0,5 mg ;
c) Est déconseillée chez les femmes enceintes et allaitantes.
5. En phytothérapie :
a) La valériane favorise l’endormissement ;
b) L’eschscholtzia agit sur les réveils nocturnes ;
c) La passiflore est utilisée pour un sommeil réparateur.
Réponses : 1. b) ; 2. a) et c) ; 3. a) et b) ; 4. a) et c) ; 5. a), b) et c).
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